A Contrario – Hommage au Groupe des Sept

En séjour à Toronto il y a vingt ans de cela, j’ai visité la Art Gallery of Ontario (AGO). Au hasard du parcours, mon attention a alors été attirée par une série de petites pochades réalisées par des artistes du Groupe des Sept.

Rappelons que le Groupe des Sept est ce collectif d’artistes canadiens qui, désirant exprimer sous un angle nouveau le paysage de ce jeune pays, a forgé au début du 20e siècle un langage pictural original libéré des diktats de la tradition classique européenne.

Sillonnant à de multiples reprises le nord de l’Ontario et du Canada — parfois séparément, parfois en groupe, et à l’occasion à bord d’un wagon de train qui s’arrêtait sur la voie là où les peintres le demandaient — ils usaient de la pochade (équivalent du croquis en dessin, peinture figurative de petit format exécutée généralement en extérieur, qui privilégie la rapidité d’exécution au détriment de l’exactitude du dessin et de la couleur afin de capter la spontanéité de l’impression) comme du truchement idéal pour reproduire plus tard en atelier, dans des formats beaucoup plus grands, ces panoramas vierges et encore épargnés par la civilisation.

Inspiré par cette technique transitoire si habilement utilisée par le groupe d’artistes paysagistes, j’ai réalisé une série hommage intitulée A Contrario qui prend, dans ce contexte, une double signification.

D’une part, cette façon de travailler s’éloigne franchement de mon approche habituelle (pas de pinceaux mais uniquement un couteau à mastic de 8 cm de largeur, pas de chevalet mais un support horizontal, pas de construction narrative mais des compositions abstraites, pas de canevas de dimensions variables mais des panneaux d’aggloméré non apprêtés et tous de format 13 x 20 cm).

D’autre part, loin de la rigueur et des conditions précaires vécues par le collectif, j’ai opté pour le confort de mon atelier à la maison tout en profitant de la lumière offerte par une très grande fenêtre orientée vers le nord. N’étant pas restreint par la météo ni par les brusques changements de lumière tout au long des jours comme le groupe de peintres a pu l’être quand il pénétrait ces paysages boréals, j’ai pu au contraire utiliser le repentir (action de modifier, altérer, masquer ou ajouter des éléments en tout ou en partie sur une toile déjà peinte) sur mes pochades, parfois plusieurs semaines après le geste initial, jusqu’au moment où le résultat me semblait satisfaisant.

Cette manière de concevoir sur le vif une série de 24 pochades de nature abstraite et non figurative en tenant compte du nombre d’or a été un exercice très différent de mon approche habituelle : à ma grande surprise le travail a été plus laborieux et intuitif qu’une démarche figurative, car à chaque application de couleurs se posaient d’autres problèmes picturaux (composition, contrastes chromatiques, etc.).

Cette suite de pochades regroupée et exposée au AGO m’a touchée, à la fois par l’utilisation d’une audacieuse palette de couleurs et par la vigueur et la spontanéité de l’exécution. Près de cent ans après la réalisation de cette suite initiale par le Groupe des Sept, je présente donc aujourd’hui un hommage a contrario au collectif canadien.

Paul Béliveau, 2017