Au Vieux-Presbytère de Deschambault et au Moulin de La Chevrotière

Le souvenir de la série « La ronde de nuit », réalisée en 1986, revient me hanter et prendre son envol 30 ans plus tard dans un tout autre contexte, dans un autre espace et dans un autre temps.
Les récents évènements en Syrie sous le regard des drones nous montrant la destruction systématique de villes et de lieux archéologiques tels que Homs, Alep et Palmyre, ne peuvent faire autrement que susciter mon désir de refaire la tournée, la ronde.

DRONE

Les drones errent en silence dans ces décombres, filmant en HD les ruines et déambulant de rues en rues dans ce chaos; silencieux moment de l’histoire de l’humanité encore aux prises avec elle-même et en conflit avec les autres. Ces drones sont les yeux de ceux qui ne veulent pas voir, l’œil invisible de l’histoire. Nous regardons à distance, presque insensible aux évènements qui se passent devant nos écrans d’ordinateurs. Nous nous sentons pour quelques instants impliqués; et voilà que nous passons à autre chose parce que déjà lointain, parce qu’il y a d’autres évènements qui se superposent dans notre quotidien.

C’est en jouant avec le mot drone, en déplaçant les lettres, que le mot ronde m’est apparu. Captation d’édifices en ruine sous un soleil de plomb, mais aucune vie dans ces villes sinon des décombres. Et pourtant, autrefois, ces lieux étaient animés.
Les 14 drones proposés et disposés au sol en cercle comme des stèles font aussi référence aux 14 stations du Christ, cintrés dans un tondo en granit, le non gravé à la feuille d’or lui conférant ainsi une dimension sacrée, intensifiée par le vieillissement des petits tableaux finement peints et craquelés. Notre regard plonge dans ces instantanés tout comme les drones.

NIGHTWATCH

La Compagnie de Franz Banning Cocq dans le tableau La ronde de nuit de Rembrandt, faisant la tournée dans la ville d’Amsterdam, ayant le pied sur le bord du tableau comme prêt à sortir, a été mon point de départ pour la série « La ronde de nuit » (1986). Ce clair-obscur si particulier à Rembrandt rend la scène encore plus dramatique. Mais cette fausse nuit causée par un emploi excessif de bitume de Judée, lui a donné le nom de ronde de nuit. Car c’est en plein jour que la scène se passe, du moins au lever du soleil. Et c’est dans la pénombre qu’apparaissaient les chiens lévriers à la bordure de chaque tableau, déambulant dans les ruines de cimetière, devant les mausolées de grands peintres ou musiciens. Comme une crainte de l’oubli.

Ainsi ces chiens lévriers qui errent dans mon imaginaire réapparaissent, déambulant dans ces ruines de pierres et de béton en Syrie, ces lévriers comme des spectres lumineux qui cherchent à sortir de ce monde créé de toute pièce par nous. Dans ce chaos, comme un trop plein de douleur que nous ne pouvons plus regarder, ces lévriers, c’est nous. Ce sont nos peurs : ce que nous laissons derrière nous, dur comme de la roche et pourtant si friable… comme l’histoire de l’humanité.